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« C’est juste notre politique »

J’ai traduit avec son autorisation l’article d’Aaron Dignan – dont le titre original est «If the answer is “It’s just policy,” you’re f*cked» – parce qu’il parle depuis l’autre côté de l’Atlantique des mêmes thèmes que ceux qui nous passionnent chez F-Cube : la banalisation des procédures et la résignation face à la confiance et l’adaptabilité. Aaron, qui est coach des organisations à New-York, argumente à partir d’un exemple très concret auquel nous avons tous été confrontés un jour ou l’autre : que cache insidieusement une petite phrase telle que : «C’est juste notre politique» ?

« C’est juste notre politique »

Récemment, je me suis rendu au siège d’une société Fortune 500, et demandé si je pouvais déposer un petit carnet à la réception pour un ami qui y travaille. Voici l’échange qui a suivi:

Eux: « Nous n’acceptons aucun paquet d’aucune nature. »

Moi: « Pourquoi pas? »

Eux: « . Parce que nous ne pouvons être tenus responsables des pertes ou des dommages »

Moi: « C’est un carnet encore sous cellophane. Qu’est-ce qui pourrait arriver? « 

Eux: « C’est juste notre politique. »

Moi: « Pourrais-je signer quelque chose, renoncer à mon droit de réclamer des dommages et intérêts si vous le perdez ou l’endommagez dans les 30 minutes entre maintenant et le moment où mon ami le récupérera ? Il en a vraiment besoin « .

Eux: « Non. »

Moi: « Oh mon Dieu. »

Eux: « C’est juste notre politique. »

Ce n’est pas la première fois que j’entends cette phrase. Nous l’entendons tout le temps – chaque fois que nous demandons une faveur ou une exception ou que nous cherchons à satisfaire un besoin nouveau de notre clientèle.

Dans mon expérience de coaching des organisations, j’ai identifié plusieurs problèmes sous-jacents que révèle la phrase : «C’est juste notre politique », les voici. Si vous avez déjà entendu ces mots dans votre environnement professionnel, ce qui suit peut vous intéresser :

Vos politiques ont des conséquences inattendues

Typiquement, les politiques d’entreprise tentent de standardiser les comportements, là où la complexité de la vie moderne exige toujours plus de nuances et de flexibilité. Notre obsession de la réduction du risque a créé des politiques impossibles à appliquer en pratique. Celle à laquelle j’ai été confronté dans l’exemple ci-dessus est conçue pour protéger la société du risque – dont la probabilité est peut-être d‘1 personne sur 1000 – qu’ils perdent un ordinateur portable à la réception et qu’ils soient poursuivis et qu’ils perdent le procès qu’on leur aurait éventuellement intenté. Mais dans la pratique, ce sont les 999 autres personnes que cette politique entrave.

Vous ne faites pas confiance à vos propres équipes

Les politiques d’entreprise qui ne donnent pas aux personnes en contact avec le terrain le droit d’improviser sont construites sur l’hypothèse que la cohérence est plus importante que le contexte, que les gens que vous avez embauchés sont des crétins, et qu’on ne peut pas leur faire confiance pour prendre des décisions. Aboutir à une telle situation impliquerait deux hypothèses, dont aucune n’est brillante : soit nous avons effectivement recruté les mauvaises personnes, soit nous ne sommes pas capables de faire exprimer toute la capacité de nos équipes à concevoir et entretenir la meilleure expérience client possible. Si l’on en croit nos observations des entreprises auto-organisées (qui obtiennent de leurs employés rendus autonomes des résultats incroyables), clairement le problème, ce ne sont pas les équipes.

Vos collaborateurs ne savent pas pourquoi vos politiques existent

Très souvent, quand je demande à des salariés en contact avec le public pourquoi quelque chose est impossible, la personne de l’autre côté du bureau hausse les épaules. Tristement, cela signifie qu’ils ont la charge de l’application de la politique d’entreprise sans le bénéfice de la compréhension. Il n’y a pas eu appropriation.

Vos politiques ne savent pas s’adapter au monde réel

Personne n’a jamais répondu à ma demande en disant: «Monsieur, notre politique actuelle dit que nous ne pouvons pas accepter des paquets, mais je peux voir combien c’est ridicule quand nous parlons du carnet de votre ami, donc je vais faire remonter cette question afin de voir s’il est possible de la changer pour la rendre meilleure pour vous et nos autres clients. Et, bien sûr, aujourd’hui, je vais faire une exception pour vous. Donnez-moi le carnet, je ferai en sorte que votre ami le récupère.» Ça n’arrive tout simplement jamais.

Lorsque vous additionnez toutes les hypothèses et les simplifications excessives que recouvrent l’expression «C’est jsute notre politique», vous pouvez imaginer le potentiel d’énergie qui est là, emprisonné et en attente d’être libéré. Ce potentiel, ce sont les gens qui attendent qu’on leur fasse confiance, qu’on développe leurs compétences, qui attendent de pouvoir participer à la définition de leurs propres rôles et de leurs propres règles.

En l’absence de confiance et de la possibilité de changer, l’organisation est fragile. Elle ne peut pas plier, elle ne peut que se briser. Elle ne peut pas évoluer dans les mains des personnes ayant le plus d’informations – celles au contact du terrain et des clients. Une entreprise aux prises avec une politique dogmatique évitera (généralement) les risques qu’elle craignait, mais presque certainement elle manquera les opportunités de conquérir de nouveaux marchés,  de ravir et de fidéliser ses clients, de transcender son état actuel.

Voilà pourquoi de nombreuses organisations tentent aujourd’hui de mettre l’adaptabilité et l’apprentissage au centre de leur modèle de fonctionnement. Un des meilleurs premiers pas à franchir pour y parvenir nous est soufflé par Frédéric Laloux dans son livre «Reinventing Organizations». Il suffit simplement de questionner les hypothèses sur lesquelles reposent nos politiques d’entreprise. Si nous demandons aux gens de pointer, peut-être faisons-nous l’hypothèse qu’on ne peut pas leur faire confiance sur leur capacité à gérer leur temps. Si nous rémunérons la performance individuelle au lieu de la performance de l’équipe, peut-être faisons-nous l’hypothèse que les individus influent plus sur les résultats que les équipes. Notre point n’est pas de dire qu’une politique est nécessairement bonne ou mauvaise, mais qu’il nous faut confronter les croyances qui sous-tendent l’équilibre dans lequel se tient cette politique. C’est seulement à partir de cela qu’une vraie discussion sur le changement peut commencer.

Et cette discussion est fondamentale car une politique n’est pas qu’une politique, elle est un signal qui guide notre façon de travailler et de dialoguer avec le monde – un monde idéalement qui ne serait pas un endroit à contrôler, mais un système dynamique au sein duquel naviguer et apprendre.

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